• Sont-ils réellement menteurs ou simplement mal informés ? Voilà une question qui mérite d'être posée.

    Quand le sujet de l'école arrive dans un discours, on a droit dans le meilleur des cas à des approximations douteuses, dans le pire à des affirmations véritablement dénuées de vérité.

    Mensonges d'Etat ou... l'état du mensonge.

    Ce ne sont pas des gens ordinaires qui profèrent des contre-vérités. Pas des gens comme vous et moi dont on pourrait comprendre et pardonner qu'ils soient peu au fait des lois qui régissent notre beau pays. Non, il s'agit au contraire de ceux qui le gouvernent, de ceux qui aspirent à le gouverner, de ceux qui, en tout cas, depuis des décennies ont consacré toute leur énergie, toutes leurs études, toute leur vie à venir se placer sur le piédestal hautain qui les éloigne du peuple peut-être, mais les rapproche, théoriquement, du firmament étoilé des faiseurs et, partant, des connaisseurs des lois.

    Or, force est de constater qu'en terme de connaissance des lois, il est assez facile des les prendre en défaut. Et je ne parle pas de lois d'un haut niveau de technicité que seuls quelques spécialistes pointus de la chose en question seraient capables de disséquer sans erreur. Non, je parle des lois les plus basiques, les plus simples, celles qui régissent nos vies de tous les jours et que, d'après un adage bien connu, "nul n'est censé ignorer".

    Que faut-il penser alors de cette méconnaissance, de ces erreurs martelées comme des vérités ?

    Soit ces messieurs-dames ne maîtrisent pas leur sujet et c'est fort dommageable quand on réclame le suffrage des français que d'être imprécis, voire inculte sur la matière qu'on aura à manier, à juger, à modeler,...

    Soit ils nous mentent sciemment, persuadés que leur aura de professionnel(le)s de la politique aidera à faire passer les mensonges les plus gros, certains que le manque de connaissances, et surtout de curiosité pour s'en procurer, des électeurs suffira à leur faire gober les plus improbables bobards.

    Pour ma part, mon opinion est faite et je ne saurais même pas leur jeter la pierre tant j'ai pu constater chez nos contemporains la propension à avaler n'importe quelle couleuvre, partant du principe que le dernier qui a parlé a raison, parce qu'on leur a dit à la télévision que c'était ainsi et parce que c'est bien plus commode de se faire une opinion devant le journal télévisé que d'ouvrir des livres pour vérifier qu'une information est avérée.

    Ainsi donc, je n'en doute pas, nous avons affaire à des menteurs. Des menteurs professionnels, parfois plein de panache, capables un jour d'affirmer exactement le contraire de la veille avec le même aplomb et jamais détrompés, contredits ou chicanés par des médias le plus souvent atones, aphones, complaisants voire complices.

    C'est donc le sujet de l'école qui nous intéresse et c'est celui-là que nous allons scruter.

    L'école en France est-elle obligatoire ?

    Non vous répondra n'importe quel juriste, avocat ou magistrat, qui aura pris la peine d'ouvrir le Code de l'éducation et de lire les articles L131 et suivants. Nous n'allons pas nous lancer dans la longue litanie des articles, vous pourrez les consulter par vous-même à cet endroit

    Et ce même juriste, pour peu qu'il ait pris la peine d'étudier l'histoire du droit de l'Instruction en France, pourra même vous affirmer, vous confirmer, que ce ne fut jamais le cas. Absolument jamais !

    Et pourtant... Au plus haut niveau de l'état, on vient nous scander régulièrement que si ! Parfois discrètement, au détour d'une phrase - c'est le principe du vaccin, qu'on inocule par petites doses - parfois, carrément, en tapant du poing sur la table, grondant et menaçant contre les inconscients qui oseraient en douter.

    "Au plus haut niveau ?", demanderez-vous. "Qu'est-ce à dire ? Les ministres eux-même seraient capable de telles vilenies ? "

    - Mais oui, mais oui, Madame Michu, mais pas seulement !"

    - Comment pas seulement ? Vous ne voulez pas dire... Pas les présidents tout de même ?"

    - ...

    Une bonne propagande n'est véritablement efficace que quand le grand timonier lui-même en dicte les préceptes. C'est bien connu dans toutes les dictatures démocraties.

    Nous y voilà donc :

    "Ici, en cet instant où commence un temps nouveau pour notre pays, je suis venu célébrer deux lois, que nous devons à l'obstination, à la volonté et au courage de Jules Ferry : la loi du 16 juin 1881 relative à la gratuité de l'enseignement primaire ; et la loi du 28 mars 1882 relative au caractère laïque et obligatoire de l'école."

    Mensonges d'Etat ou... l'état du mensonge.Discours de François Hollande en hommage à Jules Ferry, 15 mai 2012

     

     

     

     

    ( Vous pouvez le vérifier par vous-même ici. Et vous noterez que la source est on ne peut plus officielle.)

    Boum ! Les deux pieds dedans ! On ne le martèlera jamais assez. Les gens mal renseignés ne doivent surtout pas apprendre la vérité. Comment douter puisque c'est le Président lui-même qui le dit ?

    Mais rassurez-vous, on a connu pire. En tout cas plus martial, plus catégorique :

    "Je rappelle à chacun qu’il ne peut exister de droit sans la contrepartie de devoirs. Ainsi l’école est obligatoire. L’absentéisme est inacceptable car il condamne à l’échec ceux qui s’y abandonnent. Le respect de la loi est intangible et on ne la bafoue pas."

    Mensonges d'Etat ou... l'état du mensonge.Nicolas Sarkozy, lors de ses vœux à la nation en 2011

     

     

     

     

    (Voici la vidéo. Le passage en question est à 6 minutes 18.)

    Attention ! On ne bafoue pas la loi ! Et c'est un spécialiste, un (pas) repris de justice qui vous le dit. Même si il a oublié de lire le Code de l'éducation...

    Alors, bon, permettez-moi de suivre vos conseils avisés Monsieur Sarkozy : puisque la loi est "intangible et qu'on ne la bafoue pas", et bien je la respecte à la lettre en pratiquant l'Instruction en Famille. Je ne suis peut-être pas Président de la République mais moi, je sais lire les lois.

    On le sait : pour qu'un mensonge devienne une vérité, il suffit de le répéter. C'est pourquoi, un peu plus tôt dans sa carrière, il avait adopté le même ton va-t-en guerre et avertissait :

    "L'école est obligatoire, on ne demande pas l'avis de celui qui ne veut pas y aller. Il y va comme des générations avant et après lui. On va à l'école parce que c'est son devoir, parce que c'est un droit, mais on y va. On apprend ce que l'on a à apprendre et lorsque l'on est assez grand, c'est-à-dire après 16 ans, on décide de ce que l'on fait, mais pas avant. Ce n'est pas un choix.
    L'absentéisme scolaire doit être sanctionné et lorsqu'une famille ne met pas ses enfants à l'école, les allocations familiales doivent être mises sous tutelle, parce que sinon elles ne servent à rien."

    Nicolas Sarkozy, président de l'UMP et ministre de l'Intérieur lors d'une réunion des nouveaux adhérents

    (La source en vidéo, qui existait ici, a disparu. On se demande pourquoi...)

    Baste ! Mettre sous tutelle, voire supprimer les allocations familiales des familles qui respectent la loi. Voilà qui s'appelle de la justice !

    On peut au moins lui reconnaître une certaine constance dans le talent de dire n'importe quoi. Piocher des voix ici ou là ne se fait pas sans quelques accommodements avec la loi. "Nul n'est censé ignorer la loi" disions-nous plus haut mais comme personne ne fait l'effort de la lire, pourquoi s'embêter à la révéler si elle va à l'encontre de sa démagogie du moment ?

    Mais descendons un étage plus bas. Si même les Présidents se permettent des mensonges grossiers, pourquoi les ministres se gêneraient-ils ? Et c'est justement parce que l'on est en charge de l’Éducation nationale qu'on peut aisément se faire passer pour un fin connaisseur de la législation dans ce domaine et rappeler ces satanés parents insoumis à leurs devoirs et leurs obligations... fictives !

    C'est qu'on connaît bien ses dossiers au ministère de la rue de Grenelle ! Et comme on est bien en peine d'expliquer comment et pourquoi les résultats de l'école française sont en chute libre depuis plus de vingt ans, pourquoi les études et classements internationaux sont unanimes à constater sa défaillance et son échec constant, il faut coûte que coûte faire croire qu'il n'y a pas d'alternative. C'est tellement plus commode que d'essayer de ranimer une institution chancelante.

    "Fuir l'école ! Comment donc, mais vous n'y pensez pas ? Certes, nous échouons jour après jour et de plus en plus... Mais vous n'avez pas le choix ! C'est interdit !"

    Ainsi :

    "L’école, française, gratuite, obligatoire, laïque et républicaine, c’est notre bien le plus précieux."

    Mensonges d'Etat ou... l'état du mensonge.Le ministre de l’éducation, Najat Vallaud-Belkacem, 27 août 2014

     

     

     

     

    (Il s'agissait de la passation de pouvoir entre elle et son prédécesseur. Pas de chance, c'était filmé. La citation est à 2 minutes 05)

    Jusque là, c'est assez doux. Un tout petit mensonge à peine visible, on le sent à peine passer. Rappelez-vous : le principe du vaccin.

    Mais notre ministre n'est pas du genre à se laisser marcher sur les pieds. Elle peut tempêter, sermonner, tancer,... Non mais  !

    "L’école n’est pas une option, elle est obligatoire et quand on se met en infraction à la loi, il y a des sanctions qui tombent."

    Najat Vallaud-Belkacem, 1er septembre 2014

     (Conférence de rentrée, relayée par France Info)

    Vous voilà prévenus, parents rebelles ! Revenez dans le giron de la médiocre Éducation étatique ou sinon... Sinon quoi, au fait ? Quelles sanctions pourraient bien appliquer des juges en vertu d'une loi qui n'existe pas ? Comment punir une "infraction" qui n’apparaît nulle part ?

    Bien d'autres de ses prédécesseurs pourraient ainsi être pris en flagrant délit. A vrai dire, presque tous ont, à un moment donné, publiquement dans les médias et même parfois à l'Assemblée Nationale, prononcer les termes de "scolarité obligatoire", "école obligatoire". C'est une constante de la politique de l'éducation en France : masquer son échec par le mensonge !

    En voici un exemple :

    "C’est dans cette perspective, et nullement dans l’optique de je ne sais quel combat douteux contre les religions, qu’il fallait rappeler fermement, non seulement le principe de mixité, le caractère obligatoire de tous les cours et l’interdiction de tout manquement à l’obligation scolaire (...)"

    Mensonges d'Etat ou... l'état du mensonge.Luc Ferry, Assemblée Nationale, 4 février 2004

     

     

     

     

     

    (Discours à l’occasion de l’examen du projet de loi relatif à l’application du principe de laïcité dans les écoles, collèges et lycées publics. En voici l'intégralité.)

    Oh, non ! Pas vous ! Pas vous, Monsieur Ferry ! Pas vous qui, justement, avez été déscolarisé au collège. Pas vous qui êtes un des exemples qu'on peut brandir fièrement pour appuyer nos arguments, pour affirmer bien haut qu'on peut pratiquer l'IEF et réussir sa carrière au point de devenir ironiquement ministre de l’Éducation.

    Bien sûr, vous choisissez adroitement vos mots en parlant "d'obligation scolaire", terme que l'on retrouve dans la loi (depuis peu !) et qu'on voudrait nous faire prendre pour un synonyme d'obligation d'instruction.

    Mais tout de même, vous le savez bien qu'en disant cela, vous brouillez les pistes, vous détournez la compréhension, vous créez une confusion... Vous le savez bien que vos auditeurs, mal renseignés, mal informés, comprendront "l'interdiction de tout manquement d'aller à l'école".

    Alors, non, vous ne mentez pas vraiment mais vous participez à la propagande, à la désinformation. Et venant de vous, un ancien enfant instruit en famille, c'est peut-être encore moins pardonnable.

    Mais on est toujours trahi par les siens. Et comme l'a dit l'évêque Rémi en baptisant Clovis: " Courbe-toi, fier Sicambre ! Brûle ce que tu as adoré, adore ce que tu as brûlé !"

    Sommes-nous donc cernés ? N'y a-t-il pas, parmi nos responsables, quelqu'un qui oserait dire tout haut la vérité. Pas forcément pour faire l'apologie de l'Instruction En Famille mais simplement pour informer d'un droit. Parce qu'après tout, en démocratie, il est de l'intérêt de tous d'avoir un peuple bien informé, non ? C'est même, paraît-il, l'essence de la démocratie.

    Tournons-nous vers le Défenseur des Droits. Voilà quelqu'un qui, à n'en pas douter, saura défendre nos droits : c'est son titre !

    Explorons son site... Dans la catégorie Défense des droits de l'enfant, nous trouvons une série de questions/réponses. Et parmi ces questions, il y en a une qu'un enfant est en droit de se poser : "Suis-je obligé(e) d'être scolarisé(e) ?"

    Et bien la réponse est édifiante :

    "Oui, jusqu’à 16 ans. En France, il existe une obligation de scolarisation pour chaque enfant de l’âge de 6 ans à 16 ans."

    Mensonges d'Etat ou... l'état du mensonge.Jacques Toubon, Défenseur des droits

     

     

     

     

     

     

     

    (Si, si je vous assure. Vérifiez vous-même ici.)

    [MISE A JOUR: Depuis la rédaction de cet article, le site a été refondé. Cette question et cette réponse n’apparaissent plus. Un correctif sage et consciencieux que l'honnêteté oblige à signaler !]

    C'est qu'il n'est jamais trop tôt pour manipuler les esprits et à l'époque où nos enfants savent très bien utiliser Internet sans notre aide, il est important qu'ils ne trouvent pas la vraie réponse à cette question importante qui les concerne au premier chef.

    Avec ces exemples, on a vu comme on peut mentir au plus haut niveau.
     
    Mais la France compte nombre d'élus, plus modestes, moins médiatiques. A ceux-là, on devrait pouvoir faire confiance... Ils n'ont rien à gagner à tromper, non ?

    Prenons donc un cas au hasard. (enfin, presque...)
     
    Françoise Laborde (pas la journaliste mais une autre, homonyme) est sénatrice de Haute-Garonne. Elle est vice-présidente de la Commission permanente "Culture, éducation et communication". Elle vient d'être nommée en date du 29 janvier 2015, Présidente de la "Commission d'enquête sur le service public de l’Éducation".
     
    Pour que de telles responsabilités lui soient confiées au Sénat, c'est que nous avons à faire à une spécialiste, une élue chevronnée et très au fait des questions de l'éducation. Du reste, son parcours professionnel avant le Sénat le confirme comme elle le rappelle elle-même :

    "(...) Après trente années comme professeur des écoles puis directrice d’école maternelle au sein de l’Éducation Nationale, ma carrière professionnelle m’a rendu tout particulièrement sensible aux questions relatives à la jeunesse et au service public. (...)"
     

    Mensonges d'Etat ou... l'état du mensonge.Discours pour la remise de son prix de la laïcité en 2012

     
     
     
     
     
     
     
     
     
     
    Alors là, ça ne rigole pas ! Trente ans dans l’Éducation Nationale, elle doit en connaître tous les rouages. Pensez ! (Notez tout de même l'orthographe de "m'a rendu" au lieu de "m'a rendue". Mais bon, ce n'est pas très grave, en maternelle, on n'apprend pas encore le passé composé.) Une telle abnégation pour la cause publique... Et la république elle-même l'honore du prix glorieux, bien connu dans le monde entier et si convoité: le prix de la laïcité. Mazette !

    Et là... :
     
    "(...) j’ai pris conscience que de nombreuses problématiques constatées sur le terrain s’expliquaient par l’absence de règles communes concernant les conditions d’accueil des plus jeunes, avant leur scolarisation. Je vous rappelle que l’école n’est obligatoire qu’à partir de 6 ans !"

    Discours pour la remise de son prix de la laïcité en 2012
     
    (L'ensemble du texte est ici.)

    Et bim ! Merci pour ce rappel, on risquait d'oublier. Toutes ces années de pratique, tous ces sacrifices de vie personnelle pour s'offrir corps et âme à la chose publique, dans la plus complète générosité et sans rien attendre en retour... Pour ne finalement même pas connaître les bases les plus élémentaires. C'est ballot !

    Là, je vous l'accorde, je suis à la limite de la malhonnêteté intellectuelle. Il ne s'agit sans doute pas ici de mensonge ! Il s'agit tout juste d'incompétence ! C'est moins grave pour une élue du peuple. ( Ah, non, tiens le Sénat, c'est vrai, ce ne sont pas des élus du peuple...)

    A l'issue de ce petit tour d'horizon, avouons qu'il est moins difficile de répondre à la question qui fut notre postulat.
     
    Oui, ils sont réellement menteurs et non, ils ne sont pas mal informés. Bien au contraire, ils savent parfaitement ce qu'ils disent, à qui ils le disent et pourquoi ils le disent.
     
    Et il faut bien reconnaître que nous-même commençons à mieux comprendre leurs motivations profondes : les enfants ne peuvent pas, ne doivent pas échapper à l'école de la République. L'Instruction En Famille est mal connue, peu pratiquée et il faut absolument que les choses restent en l'état. Ne surtout pas expliquer qu'une autre voie est possible.
     
    Une voie qui les placerait face à leurs graves manquements, une voie qui permettrait à tous de comprendre que leur parole n'est pas d'or, une voie qui conduirait immanquablement à libérer l'Instruction de ses chaînes, une voie qui mènerait sur le chemin de la liberté de penser et – horreur ! – de la contestation !
     
    Jules Ferry lui-même, nous l'avons vu, n'avait pas d'autre dessein !
     
     
     
     
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    3 commentaires
  • A tout seigneur, tout honneur, commençons par nous intéresser au personnage de Jules Ferry.

    Puisque aussi bien, c'est à lui que nous devons la loi du 28 mars 1882 sur l'instruction gratuite, laïque et obligatoire.

    Jules Ferry

    (1832 - 1893)

    Ce n'est pas le lieu de faire une biographie complète du personnage mais il est bon tout de même de rappeler quelles furent quelques-unes de ses convictions.

    On nous dit – on nous rabâche ! – qu'il fut un grand homme d'état, un grand républicain, un exemple pour nous tous. A entendre ses panégyristes, nous lui devons tout: c'est l'un des pères fondateurs de notre chère république, nous serions invités à nous prosterner devant sa stèle pour célébrer ses louanges et honorer sa mémoire, lui qui a permis à tous les petits enfants de France d'accéder enfin à la connaissance et au savoir.

    Joli tableau que voilà ! Oui, mais...

    Comme toujours, les choses ne sont pas si simples. Car il est une vérité absolue en histoire, c'est que rien n'est jamais tout noir ou tout blanc. C'est peut-être plus compliqué pour manipuler les masses mais les faits et les hommes sont bien souvent gris, plus nuancés et plus complexes qu'on voudrait nous le faire croire pour utiliser de manière bien commode la mémoire des uns ou des autres et justifier ainsi des discours simplificateurs, voire démagogues.

    Or, Monsieur Ferry, outre son combat pour l'éducation du plus grand nombre était aussi le partisan d'un colonialisme forcené, violent et dominateur, coercitif et raciste.

    Du reste, son "fameux" combat, quel est-il réellement ? A-t-on seulement pris la peine d'éclairer certains de ses propos qui, derrière le masque du démocrate lumineux, révèlent aussi la face d'un gouvernant plus sombre ?

    Car voilà... Voilà quelques extraits de ses discours qui sauront nous en apprendre un peu plus sur ses motivations, son acharnement à instaurer une école d'état, mais également sur sa vision du monde parfait :

    Eh quoi ! Est-ce la liberté du père de famille et du foyer qu’on entrave en mettant obstacle à ce que des milliers d’enfants soient enfermés dans des établissements soustraits en fait, sinon en droit, à la surveillance de l’État ; à ce que ces jeunes cerveaux, ces esprits essentiellement malléables, soient livrés à des leçons qu’on ne connaît pas – ou plutôt que l’on connaît trop ? (…)
    Oui ! Dix ans de ce laisser-aller, de cet aveuglement, et vous verriez tout ce beau système des libertés d’enseignement qu’on préconise, couronné par une dernière liberté : la liberté de la guerre civile !”

    Jules Ferry à Épinal, 23 avril 1879

    Commençons doucement, il ne faudrait pas que les hauts-le-cœur nous prennent tout de suite.

    Il suffit de lire pour se rendre compte. Monsieur Ferry nous le dit sans ambages, dans une langue certes très soignée, la liberté d'enseignement, sans contrôle de l'état sur ce qu'on inculque à ces petites têtes blondes "malléables" conduit immanquablement à la guerre civile. N'osons pas le gros mot : à la révolution ! Diantre ! Un gouvernement démocratique peut-il se permettre de prendre ce risque ?

    " Dans les écoles confessionnelles, les jeunes reçoivent un enseignement dirigé tout entier contre les institutions modernes. (...) Si cet état de choses se perpétue, il est à craindre que d'autres écoles ne se constituent, ouvertes aux fils d'ouvriers et de paysans, où l'on enseignera des principes totalement opposés, inspirés peut-être d'un idéal socialiste ou communiste emprunté à des temps plus récents, par exemple à cette époque violente et sinistre comprise entre le 18 mars et le 24 mai 1871."

    Jules Ferry, discours au Conseil général des Vosges en 1879

    On commence à comprendre tout l'intérêt d'une école d’État, non ? Ne surtout pas permettre que des écoles propagent l'idée de s'opposer à un gouvernement.

    C'est à la Commune qu'il est fait référence ici: un mouvement populaire, révolutionnaire, pas plus condamnable, a priori, que celui qui fut le point de départ de la Révolution Française. On le voit, pour Monsieur Ferry, pour la république, il est des révoltes, des soulèvements qui sont plus acceptables que d'autres. Des révolutions qu'on sacralise comme l'acte de fondation de la démocratie et d'autres, quand on est au pouvoir, qu'on juge dangereuses pour la démocratie. Avouons que la nuance est difficile à comprendre. C'est sans doute parce que nous sommes du peuple... Il n'y a que les membres de l'élite qui peuvent comprendre des concepts aussi ardus pour nos pauvres esprits populaires.

    Continuons notre exploration :

    “Il y a deux choses dans lesquelles l’État enseignant et surveillant ne peut pas être indifférent : c’est la morale et la politique, car en morale, comme en politique, l’État est chez lui ; c’est son domaine et par conséquent sa responsabilité.”

    Jules Ferry, Discours au Sénat, 5 mars 1880

    Voilà ! Qu'on se le dise ! La morale, ce n'est pas l'enseignement par des parents aimants de valeurs qu'ils croient justes. Non, non, messieurs-dames ! La morale, c'est l'affaire exclusive de l'état. Le seul à même de savoir où placer les curseurs de la morale.

    “Apprendre à l’ouvrier, d’abord, les lois naturelles avec lesquelles il se joue dans l’exercice de son métier, mais lui apprendre également la loi sociale, lui découvrir les phénomènes économiques, lui donner des notions justes sur les problèmes sociaux, c’est en avancer beaucoup la solution. Ce qui n’était dans d’autre temps qu’une résignation sombre à des nécessités incomprises, peut devenir… une adhésion raisonnée et volontaire à la loi naturelle des choses.”

    Jules Ferry, 3 mai 1883

    On aimerait bien savoir quelle est la "loi naturelle des choses"... Que l'ouvrier reste ouvrier ? Et ses enfants avec lui, pour toutes les générations à venir ? Et ceci, non plus dans la "résignation sombre" car cela, c'est le mal mais dans une "adhésion raisonnée", car cela c'est l'éclatante lumière béatifiante de la démocratie. Mais j'ai sans doute l'esprit mal placé...

    Nous voici maintenant avec une meilleure idée du cheminement qui a conduit à instaurer la loi sur l'instruction obligatoire et laïque. Il faut bien reconnaître que cela relativise grandement l'inspiration qu'on voudrait nous faire croire humaniste qui a présidé à cette fondation éclairée.

    Certains argumenteront que dans sa grande bonté d'âme et mû par son amour de la liberté individuelle, Monsieur Ferry a pourtant laissé dans sa loi la possibilité pour qui le souhaite d'instruire ses enfants à domicile. Certes ! Et l'argument serait valable si on n'occultait pas un fait essentiel : l'écrasante majorité des membres de la chambre était constituée de bourgeois, de privilégiés, appartenant à la classe sociale la plus élevée de la IIIème république, qui avaient pour habitude de livrer leur progéniture aux bons soins des précepteurs ou des écoles privées. Et sans cette liberté accordée, le projet de loi n'aurait tout simplement pas pu voir le jour ! En effet, à cette époque (comme aujourd'hui ?), il aurait fait beau voir qu'on obligeât les élites de la classe dirigeante à mélanger leurs chérubins dorés à la misérable crasse populaire...

    Après avoir rétabli quelques vérités sur le célèbre engagement de Monsieur Ferry, voyons, à la marge, ce que ce joli personnage était capable de dire sur d'autres sujets. Car sa carrière ne se limite pas à ce que l'on en retient essentiellement.

    Nous l'avons précisé plus haut, il était un ardent défenseur du colonialisme. Avec les mêmes visées charitables et philanthropiques, sans doute ? Jugez-en :

    "Messieurs, il faut parler plus haut et plus vrai ! Il faut dire ouvertement qu'en effet les races supérieures ont un droit vis à vis des races inférieures (...) parce qu'il y a un devoir pour elles. Elles ont un devoir de civiliser les races inférieures."

    Jules Ferry, discours à la chambre des députés, 28 juillet 1885

    Qu'on ne vienne pas me parler de contexte et m'expliquer qu'à cette époque, tout le monde pensait ainsi car les humanistes existaient déjà, y compris dans la classe politique. Oui, on savait déjà, même dans ce contexte, que ce discours était profondément effarant. Et Clémenceau lui-même en donna la preuve en répondant ainsi à ce fameux discours:

    "Races supérieures ! Races inférieures ! C'est bientôt dit. Pour ma part, j'en rabats singulièrement depuis que j'ai vu des savants allemands démontrer scientifiquement que la France devait être vaincue dans la guerre franco-allemande, parce que le Français est d'une race inférieure à l'Allemand. Depuis ce temps, je l'avoue, j'y regarde à deux fois avant de me retourner vers un homme et vers une civilisation et de prononcer : homme ou civilisation inférieure !"

    "Et c’est un pareil système que vous essayez de justifier en France, dans la patrie des droits de l’homme ! (...) Non, il n’y a pas de droit des nations dites supérieures contre les nations inférieures."

    Georges Clémenceau, Discours à la chambre, 30 juillet 1885

    Il s'agit bien là, qu'on l'accepte ou non, du reflet terrifiant de la pensée de ce Monsieur Ferry, grand fondateur de la république qu'on porte aux nues aujourd'hui, en glissant discrètement sur cet aspect de sa... "philosophie".

    Pour conclure cette autopsie de la vision scolaire de la fin du XIXème siècle, penchons-nous sur les manuels d'histoire de l'époque:

    En 1885, dans son ouvrage Histoire Naturelle, destiné à l'enseignement secondaire, J. Langlebert distingue 4 races :

    - blanche ou caucasique, cette race est remarquable par la puissance de son intelligence, c'est à elle qu'appartiennent les peuples qui ont atteint le plus haut degré de civilisation.
    - jaune ou mongolique,
    - noire ou africaine,
    - rouge ou américaine.

    Le manuel d'Histoire de 1887 commence ainsi :

    "On distingue trois races humaines :
    - la race noire (descendants de Cham) peupla l'Afrique, où elle végète encore ;
    - la race jaune (descendants de Sem) se développa dans l'Asie orientale, et les Chinois, ses plus nombreux représentants, gens d'esprit positif, adonnés aux arts utiles, mais peu soucieux d'idéal, ont atteint une civilisation relative où ils se sont depuis longtemps immobilisés ;
    - la race blanche qu'il nous importe spécialement de connaître, a dominé et domine encore le monde."

    Voilà ce que l’école de la république apprenait à ses enfants à l'époque où Jules Ferry la rendait obligatoire.

    Fort heureusement, les choses ont évolué mais n'est-ce pas une parfaite démonstration du danger d'une école exclusivement d'état ?

    Sans la liberté de sortir de ce carcan, sans la liberté d'instruire à domicile, nous nous trouverons exposés, ou plutôt nos enfants, les générations futures, se trouveront exposés à l'apprentissage obligatoire du dogme officiel. Il était celui-là hier mais que sera-t-il demain ?

    Alors...

    Que l'on soit clair, je ne suis pas forcément un ennemi acharné de Jules Ferry qui, quelles que soient ses motivations, a permis malgré tout de faire avancer les libertés et de fournir le savoir au plus grand nombre. Et ce serait une erreur philosophique grave que de juger aujourd'hui la vision du monde d'hier. Pas plus qu'on ne peut réellement comprendre comment pensait un homme de l'antiquité avec les connaissances qu'il avait et qui n'étaient pas les nôtres, on ne peut réellement condamner ou approuver sans réserves un homme qui voyait le monde à l'aune de ses connaissances d'il y a 150 ans.

    Néanmoins, on peut légitimement se poser des questions sur la récupération qui est faite à "toutes les sauces" de ce prétendu grand homme et de ces prétendues grandes lois, lancées à la face du peuple sans étude critique des tenants et des aboutissants des décisions prises à l'époque, imposées à tous comme le modèle idéal républicain, en oubliant (volontairement?) de mettre en lumière certaines zones d'ombre et certains aspects peut-être moins glorieux ou comme on dirait aujourd'hui, moins "politiquement corrects".

    Comme toujours, on explique au peuple ce qui est bien et ce qui est mal, mais on ne lui donne pas les clés, on ne lui permet pas de connaître complètement ni les faits ni les hommes pour juger lui-même, en son âme et conscience, avec sa propre liberté de penser.

    Non pas que l'on cache – il est toujours possible de se renseigner, même si cela demande un effort que la majorité de nos contemporains ne sont pas prêts à faire – mais juste parce que, savamment, stratégiquement, on évite de montrer.

    On assène des vérités mais on n'éduque pas !

    N'est-ce pas un bien étrange paradoxe et un bien étrange dévoiement de la loi Ferry ?

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