• L'homme moderne a le complexe de l'hippocampe ! Il pouponne, câline, bisouille ses petits chérubins tout roses, tout ronds, tout mignons. Il les allaiterait volontiers s'il en avait la possibilité et son plus grand regret, c'est de n'avoir pas pu les porter lui-même comme le fait l'hippocampe (car il faut savoir que chez les hippocampes, c'est le mâle qui porte les œufs fécondés et qui accouche: entre 100 et 200 à la fois, excusez du peu!) !

    Le complexe de l'hippocampe

    Un père, avant, c'était cette espèce de chose grande et large, pleine de poils. C'était rude et buriné, avec une voix grave et rocailleuse. Tous les dimanches, ça honorait sa marmaille d'une caresse sur la tête en témoignage d'affection et tous les autres jours, ça quittait le foyer familial pour aller gagner sa croûte "dans son vieux pardessus râpé".

    Aujourd'hui, un père, ça n'a plus rien à voir ! Pourquoi ? Parce qu'il est devenu un homme moderne ! Ce qui signifie qu'il ne rechigne plus à s'occuper de ses enfants, du ménage, des courses et, quand il est de bonne humeur, de sa femme. Bref, il "s'implique" !

    Mais plus que cela, ce qui caractérise l'homme moderne, c'est la communication. Et oui, l'homme moderne est connecté. Il est devenu un papa blogueur ! Grâce à ce génial outil qu'est Internet, il va pouvoir hurler son bonheur à la face du monde entier. Il n'aura pas eu le bonheur de couver en son sein l'adorable frimousse de la chair de sa chair, mais il va pouvoir exposer sous toutes les coutures l'amour infini qu'il lui porte.

    Vous ne vous en rendez peut-être pas compte mais cette évolution est merveilleuse. Oui, oui ! Le papa blogueur est sans nul doute l'avenir de l'humanité, la clé de son salut (et je ne parle pas pour moi, vous pensez bien !).

    Avant d'aller plus avant dans l'étude de cette nouvelle espèce, jetez un œil sur ce croquis qui vous aidera à mieux comprendre :

    evolution du pere

    Ça, c'est la théorie générale ! Mais comme tous les grands mammifères, le papa blogueur se décline en de multiples sous-espèces dont voici un rapide panorama :

    1 - Le publicitaire :

    Vous trouverez chez lui des phrases à vous déchirer le cœur de sentiments à peine contenus, comme par exemple:

    - Oh, je suis papa ! C'est trop émouvant ! Je découvre la joie de pouponner, de faire faire des risettes, de changer des couches sales... D'ailleurs, à ce propos, avez-vous essayé les nouvelles couches "Pampurs" ?"

    - C'est trop mignon de lui donner ces petites purées ! Mais au fait, connaissez-vous la marque "Blédino" ?"

    - Je me régale à le regarder jouer pendant des heures ! C'est grâce à la nouvelle gamme de jouets de chez "Oxybol" !"

    Son émotion toute neuve de papa tout neuf ne lui fait pas perdre le nord ni le sens des affaires. Tant qu'à avoir un gamin, autant qu'il soit rentable. Il croit mettre dans sa poche le lecteur en partageant avec lui les transports joyeux de la paternité, mais toujours sans oublier d'insérer des placards de pub et de se faire envoyer des échantillons à tester. Cette nouvelle aventure dans sa vie mérite bien une petite récompense, non ?

    2 - Le nouveau spécialiste:

    Il y a 6 mois seulement, il était infoutu de faire la différence entre une couche propre et un doudou sale (ou le contraire). Mais désormais paré de sa science toute neuve, il se met en devoir de la faire partager. On a un peu l'impression qu'il vient de découvrir l'eau chaude,  mais ça ne va pas l'empêcher de nous agonir de ses bons conseils, prodigués d'un ton docte et sans appel. Du haut de ses 180 jours d'expérience, il dispense ses préconisations depuis la tribune de son institut scientifique personnel.

    3 - Le béat :

    Pour lui, le moindre babillement est un émerveillement, il s'esbaudit à chaque instant des gazouillis maladroits de sa descendance, les premiers pas du dernier sont un trésor de ravissement, cette petite fossette adorable le fait fondre... A coups de billets quotidiens, il inonde la toile des progrès ahurissants de son étoile montante qui, hier encore, ne savait dire que "bu" alors qu'aujourd'hui, elle a très distinctement prononcé le mot "ba". Et il étale sa guimauve sur fond rose, le clavier encore humide des larmes attendries qu'il y laisse couler. Il se croit émouvant et touchant mais nous, on le trouve quand même un peu con.

    4 - L'humoriste :

    On le reconnaît en général à deux signes distinctifs : d'une part, les fautes d'orthographe ("Passque dans l'humour, plaide-t-il, l'ortografe, on s'en fout, c'est les blagues qui comptent !") et d'autre part, le besoin d'appuyer toutes ses fines plaisanteries par un commentaire subtil. Avec un humour qui n'appartient qu'à lui (mais vraiment qu'à lui!), il nous racontera par le menu les galères qu'il endure depuis que sa femme "a mis bas" ("humour!"), depuis qu'il est obligé de cohabiter avec "ses insupportables gosses" ("Joke!"), bref, depuis qu'il vit "l'enfer sur terre" ("lol!"). Avec lui, au moins, si on n'apprend pas grand-chose, on est sûr de bien rigoler.

    5 - L'héroïque :

    Lui aussi utilisera parfois l'arme de l'humour cinglant et ravageur. Tous ses articles seront consacrés à nous démontrer à quel point sa vie a changé et comme il a si bien su s'adapter, à quel point il est admirable d'avoir tout sacrifié à ses petites princesses, à quel point il parvient à résoudre les situations les plus inextricables,... Panthéon numérique tout à sa gloire personnelle, son blog dresse un portrait sans concession de sa vie de jeune père exceptionnel.  Il sait nous subjuguer avec le récit de ses actions d'éclat et on est bien obligés d'être d'accord avec lui quand il nous explique que sa réussite d'une harmonie familiale parfaite n'est due qu'à sa générosité, à sa patience, à son intelligence et, surtout, à sa modestie.

    6 - L'empathique :

    Il aurait tellement aimé être à la place de son épouse le jour de l'accouchement, pour lui éviter cet affreux supplice. Il a tellement mal à son petit cœur dès que son bambin se fait bobo là. Il souffre tant de toute cette douleur douloureuse qu'il a besoin de s'en épancher. Ce n'est pas lui qui endure mais c'est tellement tout comme qu'il a un besoin irrépressible de crier au monde son martyr pour s'en soulager enfin. Un peu, si peu,...

    7 - Le débordé :

    Entre les trajets école-nounou-domicile, le supermarché, le repassage, les devoirs, le boulot, une visite à sa vieille mère malade, la cuisine, le coup de fil aux copains, le bain des petits, le match à regarder, le linge à étendre, une longue et passionnante discussion avec sa femme, une étagère à poser, la vaisselle, les pneus hiver à changer, les vitres à nettoyer, le bénévolat dans une association caritative, l'histoire du soir, le suivi de ses amis "FesseBouc", le jogging du matin, les cours de clarinette, les cuivres à astiquer, il n'a plus une minute à lui mais il assure ! Et il trouve quand même un peu de temps pour le faire savoir.

    8 - Le détaché :

    Même pas mal ! Sincèrement, il a beau y réfléchir, il ne voit pas en quoi c'est extraordinaire d'avoir des enfants. Il n'a toujours pas vu la différence entre le "avant" et le "après". Non, vraiment rien n'a changé. Rien de rien ! Il se demande même pourquoi il fait un blog tellement c'est exactement pareil. Bon... Il est divorcé et ne voit ses enfants qu'un week-end sur six... Mais franchement, il vous le dit sans ambages, "l'éducation, y'a pas de quoi en faire une montagne !"

    9 - L'adepte de la mauvaise foi :

    Il fait semblant de parler d'autre chose mais finalement, lui aussi, il parle de sa progéniture toutes les cinq minutes. Avec un air très sérieux, il traite l'actualité, il critique les institutions, il donne des informations sur l'Instruction en Famille, il raconte des balades en forêt,... Il se permet même de se moquer des autres papas blogueurs. Alors qu'il cumule à peu près tous les défauts de ceux qu'il brocarde ! Si on y réfléchit bien, il ne vaut pas tellement mieux.

    Le complexe de l'hippocampe

    Avec ces quelques exemples, vous commencez sûrement à mieux cerner le profil de l'homme moderne. Du père lointain et peu concerné, on est passé au papa omniprésent et surhumain (en tout cas, lui, il le croit très fort!). Mais surtout, on a atteint le stade du papa qui a besoin de rendre public son intense dévouement.

    Il se la joue papa du XXI° siècle, dans le vent: "Moi aussi, je suis capable de m’occuper d'un nourrisson. Je ne suis pas un macho et je suis pas plus con qu'une femme." (sic!) Et il s'épanche partout, dans les médias, sur le web, les réseaux sociaux, les blogs,...

    Parce qu'une maman...

    Une maman, ça fait son job de maman ! Parfois avec abnégation, parfois par obligation... Parfois avec le sourire et parfois pas... Parfois inondée d'amour pour ses petits, parfois avec une atroce envie de les étrangler... En somme, une maman, ça fait ce que ça doit faire. Et il n'y a pas de quoi en faire une thèse !

    Alors qu'un papa...

    Ça a beau être moderne, à la pointe du portage, du cocooning, du co-sleeping ou du biberonning, un papa, ça ne sait pas faire les choses juste parce qu'il faut les faire. Un papa, si ça s'occupe de ses enfants, ça le dit ! C'est que c'est bien beau de torcher les mouflets, de supporter les cris des gniards et d'essuyer leur morve dégoûtante, ça fait bien dans le décor, ça épate le gogo mais il ne faudrait tout de même pas que tous ces efforts soient perdus pour la postérité.

    Le complexe de l'hippocampe

    Pétri de remords d'avoir dû laisser à sa moitié la charge de la gestation, encombré par son complexe de l'hippocampe, l'homme moderne a su compenser son incapacité à la grossesse par une participation aux tâches domestiques. Pendant que madame enfle démesurément, il n'hésite plus à l'aider et à s'emparer de l'aspirateur. Parce que quand même... Ça,  c'est une machine, ça fait du bruit, il y a un moteur, c'est un vrai truc de mec !

    Sauf qu'à la moitié du salon, le cerveau du mâle se met en éveil. Il trouve que quand même, la puissance d'aspiration a baissé, que ce n'est pas très normal, qu'il doit y avoir un truc qui cloche là-dedans...

    Et alors que vous aviez laissé votre cher mari traquer ces infâmes grains de poussière jusque dans les moindres recoins, la confiance chevillée au corps et la gratitude au cœur, vous finissez par le retrouver à quatre pattes, au milieu de la poussière intacte et du désordre toujours présent. Alors que vous pensiez retrouver une pièce rutilante, où chaque objet aurait repris sa juste place, vous découvrez un capharnaüm de mécanique démontée. Des morceaux de fer, de plastique, de ressorts éparpillés tout autour de votre Léonard de Vinci domestique, assis en tailleur, le sourcil froncé, cherchant avec frénésie dans le mode d'emploi où peut se trouver cette put... de page en français.

    Et face à votre étonnement devant le spectacle du sac d'aspirateur éventré et répandu sur le tapis, il vous répondra en grommelant: "Ben oui mais c'est mal fichu ce truc... C'est quand j'ai démonté... Le sac a explosé et pis... Mais laisse-moi me concentrer !" (Certains papas blogueurs en profiteraient pour vous vanter les mérites des aspirateurs "Dizon" sans sac et ultra-puissants. Mais ce n'est pas mon genre !)

    Pendant quelques temps, vous préférerez oublier cet épisode désastreux. Mais quand, quelques semaines plus tard, à la faveur d'une de ces légères engueulades qui cimentent la vie du couple, vous lui reprocherez son manque d'implication dans les corvées du foyer, il vous répondra benoîtement, avec une candeur confondante : " Quand même, tu exagères ! J'ai passé l'aspirateur l'autre jour !"

    Quand ? Il ne s'en souviendra jamais. Les détails ? Il les aura occultés. Mais avoir passer l'aspirateur un jour, ça il s'en souviendra toujours !

    Le complexe de l'hippocampe

    Mais au-delà de cet épisode de pure fiction (qui ne vaut vraiment pas la peine d'être raconté dans son blog), l'homme moderne confirmera son génie de la chose mécanique et électronique en nous faisant partager numériquement sa passion, sa vie trépidante de géniteur zélé qu'il sera de bon ton d'admirer et d'applaudir.

    Franchement, il croit vraiment nous impressionner, l'homme moderne ? Nous aussi, on en a des enfants. Et on sait bien que, même si ça réclame souvent de la patience et engendre de la fatigue, ça n'a rien d'héroïque. Franchement, il croit vraiment être exemplaire, l'homme moderne ? Il croit vraiment être le seul au monde à veiller sur sa nichée ? Et le papa hippocampe, alors ? C'est de la crotte ?

    C'est qu'il aura beau complexer de ne pas être justement un hippocampe, ce pauvre homme moderne... On sait que la science ne lui permettra pas avant un bon moment selon toute vraisemblance. On peut le déplorer pour mille raisons mais nous n'en retiendrons qu'une.

    C'est que cela nous prive assurément du bonheur de pouvoir lire un jour son blog, dont on imagine déjà le titre (et son énorme potentiel publicitaire) : "Grossesse et vergetures d'un jeune papa" !

     

     

     

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  •  la television formate les cerveaux

     

     

    - Papa, c'est quoi cette grosse boite carrée avec une vitre ?"

    - Ça, mon chéri, c'est un téléviseur ! "

    - Ah ? Et à quoi ça sert ?"

    - Heu... A rien... Enfin... Je ne crois pas... Attends que je réfléchisse... Ah, si, je sais ! Ça sert à te dire quel temps tu verras dehors si tu regardes par la fenêtre. Hem, hem... Sinon, heu... Tu peux regarder un documentaire sur les poissons, ça fera comme un aquarium."

    Vous l'avez compris grâce à ce petit dialogue imaginaire, la télévision chez nous à une place quasi-inexistante. Comme vous l'aurez noté dans la première phrase, on n'a même pas d'écran plat, c'est dire ! (Hurlements de terreur, huées dans la salle, évanouissements,...)

    Je suis né à une époque où la télévision était rare. Trois chaînes seulement, qui émettaient à partir de midi et pas plus tard que minuit. En noir et blanc parce que ma famille n'avait pas les moyens de s'offrir une télé couleur.

    mire ortf

    Et oui, un autre monde ! Une autre époque ! La préhistoire, en somme !

    Vous me croirez si vous voulez, je n'ai pourtant pas eu une enfance malheureuse. Aujourd'hui, les enfants écarquillent les yeux si je leur raconte ça, et la plupart des adultes aussi. Même si ceux de ma génération ont connu cette époque, ils semblent l'avoir oubliée. Pas un foyer aujourd'hui qui ne soit équipé de cette sacro-sainte machine sans laquelle on ne peut plus vivre.

    Mais alors comment ai-je pu me construire sans télévision ? Est-il possible de se passer d'une boîte qui émet continuellement du bruit et des couleurs ?

    Et bien, je sortais ! J'allais courir dans les bois, observer les oiseaux, l'évolution des têtards dans la mare au fond du jardin, pêcher des épinoches avec une canne de ma fabrication (un bâton sur lequel j'attachais un fil de laine piqué sur une pelote de ma mère et une épingle à nourrice en guise d'hameçon. Drôlement pas efficace du tout ! J'ai jamais rien attrapé !) Et aujourd'hui, mon fils fait à peu près le même genre de choses.

    Lire des livres, jouer, peindre, dessiner, sortir, visiter, faire du vélo, se promener, explorer, grimper, jardiner, observer, sentir, toucher en se passant de télévision ? Ou se vautrer, cerveau en veille, corps en léthargie, doigt fatigué devant la télévision ? Vivre ou accepter l'hypnose collective ? Ce pourrait être un vaste débat.

    Mais en fait, non ! Il n'y a aucun débat sur la question. L'idéologie dominante et obligatoire est claire: il faut regarder la télévision ! A vrai dire, on a le même genre de réaction qu'avec l'école. Il n'y a même pas à se poser la question, la télé, ça se regarde, point. C'est comme ça pis c'est pas autrement ! (oui, les gens ont toujours des arguments aussi percutants à nous opposer)

    Imaginez ! Une famille où la télévision n'existe pas et où l'enfant n'est pas scolarisé. Dans mon quartier, je sens bien qu'on n'est pas tout-à-fait des gens comme les autres. Les regards sont lourds de sens, accusateurs quand ils se posent sur moi, pleins de compassion quand ils se posent sur mon fils. Le pauvre enfant ! Déjà privé de toute socialisation et de tous les avantages indéniables de l'école, voilà qu'en plus, il est totalement coupé du monde puisque victime de la maltraitance de ses parents qui lui interdisent la télévision.

    Non, la télévision n'est pas interdite chez nous. Elle est simplement perpétuellement éteinte et aucun d'entre nous n'a jamais l'idée de l'allumer.

    Il faut dire que, pour ma part, j'ai fini par arrêter de la regarder parce que j'en avais assez que mes plages de pub soient sans arrêt interrompues par des émissions. C'est insupportable !

    On s'apprête à se régaler d'un long tunnel vantant les mérites de la dernière Peugeot, à savourer de belles images de jambon sur fond de campagne verdoyante, à en apprendre plus sur les vertus des dragées Fuca, à se pourlécher les babines en admirant le nouveau sandwich unique et inédit de chez MacBidule, qui contrairement à tous les autres, est fait avec du pain mou, du steack haché et du ketchup (Inédit ! Un nouveau goût unique ! A ne pas manquer !),... On s'installe confortablement dans son canapé pour goûter au bonheur de découvrir toutes ces merveilles que le monde moderne nous offre pour nous rendre extatiquement heureux d'avoir peut-être un jour les moyens de se les acheter, et voilà qu'un olibrius brise brutalement ces magnifiques moments de rêve pour nous parler d'un livre qui fait mal à la tête ou nous emmener visiter une tribu du fin fond de je-sais-pas-où qui vit encore sans électricité et, du coup, accrochez-vous bien, sans télévision. Non mais ! On croit rêver !

    arreter la television

    Se passer de télé, c'est un peu comme arrêter de fumer. Ça fait bizarre au début, on sait pas quoi faire de ses mains, on tourne en rond, on s'agace. Et puis, au bout d'un moment, on s'habitue, on se sent plus léger, on savoure le temps libéré. On s'est enfin débarrassé de ses chaînes (Jeu de mot ! Notez !) et on se sent mieux. Faites l'expérience et vous verrez que, très rapidement, on perd le réflexe. Par exemple quand on est en visite chez des amis télévores,  on finit par trouver insupportables tous ces gens qui crient pour ne rien dire dans des décors sursaturés de rouge ou de bleu, on finit par ne plus voir que le vide criant et abyssal de la plupart des programmes.

    "Ben oui mais à la télé, quand même, y'a les infos ! C'est important les infos !" me disait hier encore monsieur Michu qui ne rate jamais la grand-messe du 20 heures (c'est l'expression consacrée, inventée on sait pas quand par on sait pas qui mais qui démontre bien que les infos, c'est quand même pas de la roupie de sansonnet).

    D'accord, monsieur Michu ! L'intention est louable de vouloir se renseigner sur ce qui se passe dans le monde. Seulement, regardez plus attentivement et vous verrez comme moi que les informations, à la télévision, ça n'existe pas. Tout au plus, on a affaire à une émission de divertissement, où les sujets les plus sérieux sont à peine effleurés, où les problématiques les plus primordiales sont survolées avant de passer à de longs reportages sur les conséquences du mauvais temps sur la saison touristique, à de profondes analyses sur le dernier album du dernier chanteur et à un bon quart d'heure de véritables nouvelles, de celles qui concernent toute la France, qui sont véritablement primordiales : les résultats du foot !

    Les informations à la télévision, ça n'existe pas ! Par exemple, j'ai un cousin qui vit au Népal. Je suis grâce à lui bien plus au courant de ce qui se passe réellement à Katmandou depuis le terrible séisme qu'en regardant toute la journée des chaînes d'information en continue qui me diffusent sans arrêt les mêmes images d'hélicoptères de secours, et qui se préoccupent bien plus de ce qui est arrivé à ces pauvres riches touristes occidentaux et aux 3 français dont on est sans nouvelles plutôt qu'à ces Népalais qui, par milliers sont tués, blessés, sans toit ni nourriture.

    Reconnaissons-le, tout le monde n'a pas les moyens d'avoir un cousin qui vit au Népal. Mais c'était juste un exemple pour vous montrer à quel point ce n'est jamais la télévision qui vous renseignera. Les sources d'information, il faut aller les chercher ailleurs.

    Contrairement à mon enfance, l'offre de chaînes et de programmes est aujourd'hui pléthorique. Dans cette infinité de productions audiovisuelles ineptes, il y a pourtant moyen de dénicher de véritables pépites: des reportages ou documentaires réellement instructifs, réellement bien faits et réellement enrichissants. Mais perdus au milieu de combien de déjections filmées ? Il faut bien tout passer au mixeur, filtrer avec une passoire pour extraire les maigres ingrédients qui sauront nourrir votre curiosité.

    Il faut le reconnaître, pour les gens intelligents comme vous et moi, cet appareil est une possibilité de fournir à nos enfants et à nous-même un véritable terreau culturel riche et fertile. Mais pour la majorité des gens, qui ne font que rarement l'effort de faire des efforts, la télévision grand public est un tombereau d'insanités, un outil d'abrutissement généralisé, une diversion bigarrée, un tour de passe-passe hypnotique.

    television hypnose

    La véritable innovation profitable de ces dernières années, c'est la multiplication des moyens de diffusion et son corollaire: le concept de la télé à la demande. Chez nous, c'est cet usage qui en est fait. Nous n'avons pas de télévision mais un moniteur, qui nous permet de regarder une programmation faite par nous-même, lavée de ses scories, édulcorée de son superflu. Le moyen de nous enrichir, sans rejeter les bons côtés de l'outil mais sans en subir les outrages.

    Non, la télévision n'est pas un ennemi pour peu qu'on en fasse un usage raisonné. Elle devient un tyran, dont hélas trop de monde s'est rendu esclave, dès lors qu'on n'apprend pas à la domestiquer, à la dompter, à lui imposer notre volonté.

    S'asseoir devant la télévision, c'est un peu comme entrer dans la cage d'un lion. A vous de montrer que vous êtes le maître car si vous abaissez votre garde un seul instant, profitant d'un bref affaiblissement de votre vigilance, l'animal vous mangera tout cru.

     

     

     

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  • La novlangue, vous connaissez ? Le concept a été inventé en 1948 par Georges Orwell. Nous en avons parlé dans l'article sur 1984. Il s'agit de simplifier le vocabulaire à l’extrême, ou d'imposer un langage officiel et obligatoire, d'interdire un certains nombres de mots, généralement ceux qui ouvrent la voie de la réflexion et partant, de la contestation.

    Novlangue

    Et bien, cette novlangue nous a rattrapés. On le constate bien sûr tous les jours dans les conversations où les aveugles sont devenus non-voyants, les clochards sont devenus SDF, les chômeurs sont devenus chercheurs d'emploi, les balayeurs sont devenus techniciens de surface,... Comme si nommer les choses devenait subitement injurieux, on a redoublé d'imagination pour utiliser des périphrases.

    Le système est connu, il est bien commode pour manipuler les esprits et faire oublier les incuries en tripotant le vocabulaire. Certains avaient déjà dénoncé la manœuvre il y a bien longtemps:

    Novlangue

    Mais, outre les médias et les hommes politiques, qui est selon vous le plus grand pourvoyeur en vocabulaire abscons, le plus grand truqueur de mots ? Je vous le donne en mille... L'Éducation Nationale, bien sûr ! Et tout particulièrement ceux qui sont en charge d'en concevoir les programmes comme nous le révèle le Figaro dans l'article:

    Les nouvelles perles de la «novlangue» pédagogiste

    Si vous êtes comme moi, vous serez d'accord pour dire que c'est un régal. Mais hélas, trop court ! Pour ma part, je piaffe d'avoir accès au texte définitif pour l'éplucher tout à loisir et y trouver d'autres pépites du genre. Un bon moment de rire ne se refuse pas.

    Mais en attendant, et pour calmer notre impatience, amusons-nous à appliquer les méthodes linguistiques du CSP (Conseil Supérieur des Programmes) dans une conversation courante. Vous allez voir que le moindre échange avec votre boulangère prendra une tournure tout-à-fait différente de ce que vous connaissez.

     

    • Ainsi, le matin, vous ne vous lèverez plus. C'est ringard ! A la place, vous serez bien inspirés de : "basculer votre corps d'un plan longitudinal vers un positionnement dressé".

     

    • Comment voulez-vous que l'on comprenne ce que vous faites si vous vous contentez de dire que vous marchez ? Préférez le terme plus clair de: "traverser l'air en équilibre vertical".

     

    • Dire que jusqu'à présent, vous utilisiez du savon pour vous laver, sot que vous êtes ! Alors qu'il est connu qu'il vaut mieux se "mettre en immersion continue en milieu aquatique mousseux domestique" s'il s'agit d'un bain, ou en "aspersion discontinue en milieu aquatique cadencé", s'il s'agit d'une douche.

     

    • Votre garagiste écarquillera les yeux si vous lui expliquez que vous avez un problème de moteur. En revanche, il saura immédiatement de quoi vous parlez si vous lui dites que vous soupçonnez un " dysfonctionnement du bloc mécanique de propulsion horizontale".

     

    • Car désormais, il ne s'agit plus de comprendre mais de "maîtriser les acquis par transversalité objectivée du raisonnement".

     

    • A la télévision, dans une conférence, un amphithéâtre, vous ne vous régalerez plus d'un débat, vilain has-been, mais vous apprécierez certainement mieux une "vocalisation argumentée réciproque".

     

    • Il est fini le temps où, aux premiers beaux jours vous laissiez courir les petits enfants et alliez tranquillement vous asseoir sur la pelouse. Désormais, vous irez "créer de l'inertie dans un environnement plane végétalisé". Et si le beau temps est de la partie, vous pourrez en profiter non pour vous faire bronzer mais pour "optimiser la calorification énergétique de votre épiderme".

     

    • Hier encore, quand le besoin s'en faisait sentir, vous n'hésitiez pas à chercher un mot dans le dictionnaire. Aujourd'hui, il sera plus efficace "d'accomplir une triangulation linguistique d'un vocable par disqualification alphabétique".

     

    • Et si vous êtes en train de me lire, il y a fort à parier que vous croyez que c'est parce que vous vous êtes connecté à Internet, esprit rétrograde. Alors que pas du tout ! Si vous étiez dans le vent, vous sauriez qu'on dit "aller du soi réel vers l'ailleurs virtuel par maîtrise de l'outil informatique et acquisition transversale des nouvelles technologies".

     

    • Du reste, si l'envie vous en prenait, je vous saurai gré d'éviter de laisser un commentaire à la fin de cet article. J'aimerais mieux que vous ayez une "production raisonnée de message à l'écrit par dactylographie dysalphabétique". C'est quand même plus chic !

     

    • Comme vous avez pu le constater si vous avez lu l'article Ils osent tout..., en 2015, sachez-le, on ne prend plus de rendez-vous, on "demande de confirmer une disponibilité du 9 mars au 24 avril". C'est nettement plus simple !

     

    • Notez également, c'est important — et ce n'est plus le CSP qui vous le suggère mais notre ministre du machin National (Cf ses sages recommandations dans cet article) — que vous n'aurez plus à sortir dans la rue. Non, en bon citoyen, vous aurez à "lutter contre le risque de repli et de radicalisation par socialisation urbaine renforcée".

     

    A partir de ce langage moderne, tentons un petit texte ordinaire:

    "Ce matin, je me suis levé. Après avoir pris une douche, je suis sorti dans la rue pour marcher un peu. J'avais un rendez-vous chez mon garagiste pour un problème de moteur. Au retour, je me suis assis sur la pelouse pour profiter du soleil. Mais comme je suivais un passionnant débat sur un réseau social, je suis vite rentré pour me connecter à Internet. Par goût de la précision, j'ai pris soin de vérifier un mot dans le dictionnaire avant de laisser un commentaire. Vous me croirez si vous voulez, les gens n'ont rien compris !"

    Vous le voyez, rien de compliqué. C'est un paragraphe aux termes simples, sans fioritures et pour tout dire, sans intérêt. Vraiment sans intérêt ! A l'aide de l'outil "EducNat translator", traduisons-le dans un langage pédagogique. Cela donnerait:

     "Ce matin, j'ai basculé mon corps d'un plan longitudinal vers un positionnement dressé. Après m'être mis en aspersion discontinue en milieu aquatique cadencé, j'ai lutté contre le risque de repli et de radicalisation par socialisation urbaine renforcée et j'ai  un peu traversé l'air en équilibre vertical. J'avais demandé de confirmer une disponibilité du 9 mars au 24 avril chez mon garagiste pour un dysfonctionnement du bloc mécanique de propulsion horizontale. Au retour, j'ai  créé de l'inertie dans un environnement plane végétalisé pour optimiser la calorification énergétique de mon épiderme. Mais comme je suivais une passionnante vocalisation argumentée réciproque sur un réseau social, je suis vite rentré pour aller du moi réel vers l'ailleurs virtuel par maîtrise de l'outil informatique et acquisition transversale des nouvelles technologies. Par goût de la précision, j'ai pris soin d'accomplir une triangulation linguistique d'un vocable par disqualification alphabétique avant d'avoir une production raisonnée de message à l'écrit par dactylographie dysalphabétique. Vous me croirez si vous voulez, les gens n'ont pas maîtrisé les acquis par transversalité objectivée du raisonnement !"

    Vous voyez... Tout de suite, ça prend une autre prestance. Je mets au défi quiconque de savoir ce que signifie tout ce charabia sans la traduction mais avouons que ça a de la gueule ! Totalement vide de sens et de la moindre once de profondeur mais ça en jette. De quoi épater facilement le gogo !

    Vous savez désormais comment sont conçus les programmes scolaires. Pas besoin d'en bouleverser la teneur de plus en plus insignifiante, il suffit de réunir un aréopage de pédagogues certifiés qui connaissent plein de vocabulaire pour faire une belle présentation. Et hop là, emballé, c'est pesé, on a une belle et vraie réforme à présenter à la télé !

    C'est-y pas magique ?

     

     

     

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  • Pour les amoureux de la langue, les mots sont comme des notes de musique, les phrases comme des mélodies. Ils se régalent à écouter un beau texte comme des mélomanes à un concerto. Mais comme les instrumentistes sont nombreux, ils n'ont pas tous l'aisance des grands virtuoses. Certains nous bercent malgré tout d'agréables ritournelles quand d'autres, grossiers massacreurs de fanfares, multiplient couacs et canards.

    Vous l'aurez compris, mon oreille musicale souffre trop souvent de se faire écorcher par le mauvais trompettiste de la fosse d'orchestre. Rien ne me hérisse plus le poil que d'entendre des expressions bancales, des mots écorchés ou des phrases approximatives.

    Halte à la barbarie des barbarismes

    Hélas, nous en sommes cernés. Voici quelques exemples de ce qui sort souvent fièrement de la bouche de ceux qui, pourtant, sont allés à l'école.

    Si vous êtes vous-même un adepte d'une ou plusieurs de ces expressions fautives, rien n'est perdu, vous allez voir ici pourquoi il faut arrêter de les utiliser.

     

    • Au jour d'aujourd'hui !

    Très à la mode depuis quelques années. Généralement clamé avec force pour appuyer une conviction péremptoire. Sauf que... "Hui" signifie "ce jour" en ancien français. Aujourd'hui est donc déjà un pléonasme !

    Pas besoin d'en rajouter sinon vos phrases commenceront par l'équivalent de " Au jour du jour de ce jour ! " Et oui, dit comme ça, c'est parfaitement ridicule.

     

    • le truc à machin

    C'est vrai qu'on l'utilisait il y a de nombreuses décennies pour parler de la bande à Bonnot. Mais c'était alors du parler populaire, c'est-à-dire de gens peu instruits. C'est par référence qu'on l'a utilisé plus récemment, par effet de style. Hélas, ça a fait florès et on le voit se propager dans les médias et sur les affiches.

    Revenons aux bases : ce n'est pas "la voiture à Papy", c'est "la voiture de Papy" ==> A qui est la voiture ? Elle est à Papy ! C'est donc la voiture de Papy.

     

    •  il m'a dit comme quoi...

    Là, c'est carrément n'importe quoi. Quand j'entends ce genre de phrase, j'ai les oreilles qui saignent. "Comme quoi" est correct en début de phrase mais jamais après un verbe.

    On ne "dit pas comme quoi...", on ne "raconte pas comme quoi..." mais on "dit que...", on "raconte que..."

     

    • il m'a insulté de... et son corollaire  il m'a traité...

    En vogue également. J'ai même un jour surpris avec effroi cette horreur en une d'un article de presse (Et oui, n'oublions pas que les journalistes sont allés à l'école. Ça explique sans doute la piètre qualité de la presse en général.).

    Encore une fois, il faut revenir aux bases : "traiter" peut être employé dans le sens "d'insulter" mais dans ce cas, il doit obligatoirement être suivi d'un attribut du COD. A contrario, "insulter" n'est jamais suivi d'un attribut du COD.

    On "traite quelqu'un de quelque chose", donc on "l'insulte" ! Et pas l'inverse !

     

    • le classique  après que... + subjonctif.

    Si on utilise effectivement le subjonctif après "bien que", c'est bien un temps de l'indicatif qu'il faut employer à la suite de "après que". Que tout le monde ne le sache pas, c'est normal mais que des gens dont le métier est l'écriture (et c'est encore aux journalistes que je pense) se permettent ce genre de fautes systématiquement...

    Même si ça parait curieux à l'oreille, la construction juste n'est pas "après que je sois arrivé" mais bien " après que j'étais arrivé".

     

    • Faire montrer

    C'est une erreur courante chez les enfants. Mais là où c'est plus grave, c'est qu'elle demeure chez certains à l'âge adulte. C'est la confusion entre "faire voir", synonyme de montrer et "faire montrer quelque chose par quelqu'un", c'est-à-dire demander à un tiers de montrer quelque chose.

    On peut dire "Je vais te faire montrer les photos par ma sœur" mais si on veut montrer soi-même, il faut se contenter de dire "Je vais te montrer les photos" ou bien "Je vais te faire voir les photos".

     

    • malgré que

     A ne pas confondre avec "bien que". Malgré s'utilise seul, immédiatement suivi d'un groupe nominal.

    On ne dit pas "il a fini la course malgré qu'il soit tombé" mais "il a fini la course malgré sa chute".

     

    • aller au coiffeur, au docteur,...

    Encore un classique ! Sauf qu'en l’occurrence, on a affaire à des personnes et pas à des choses. Pas de problème pour aller au supermarché, c'est un lieu. La vache peut aller au taureau mais c'est une expression qui a un sens précis (et ce n'est certainement pas dans le même objectif que vous rencontrez votre coiffeur ou votre médecin).

    Donc, si on a besoin d'une bonne coupe ou d'un médicament, on va "chez le coiffeur" ou "chez le docteur".

     

    • s'avérer faux

    On trouve aussi son cousin "s'avérer vrai". Si ce dernier est un pléonasme, le premier est carrément un contresens. Avérer signifie se "révéler vrai". Par exemple, un fait peut être avéré. Rien au monde ne peut s'avérer faux.

    "S'avérer faux" a donc à peu près autant de sens qu'escalader vers le bas.

     

    •   Le postulat de départ

    On nage en plein pléonasme. Un postulat, c'est une proposition acceptée comme début d'une démonstration. Donc, par définition, le postulat est forcément de départ.

    Si on tient vraiment à l'utiliser, c'est tout seul : le "postulat" et c'est tout.

     

    Il s'agit d'un petit panel de quelques fautes courantes mais on pourrait en trouver bien d'autres, parfois plus difficiles à repérer. Vous pouvez vous fier à quelques spécialistes qui vous l'expliqueront mieux que moi:

    Site de l'Académie française:

    Dire, ne pas dire

    Où l'on s'aperçoit que malgré tous nos efforts, on est loin d'être irréprochables, moi le premier.

     

     

     

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