• Cent ans d'avance

    Tout le monde connaît Jules Verne, l'un des "inventeurs" de la science-fiction. Et c'est bien normal puisqu'il est le deuxième auteur le plus lu au monde après Agatha Christie.

    Paris au XX° siècle

    Jules Verne

    (1828 - 1905)

    Grâce aux innombrables adaptations cinématographiques, télévisées, dessinées ou autres de ses œuvres, tout le monde connaît également ses ouvrages principaux, même sans forcément les avoir lus.

    On voit généralement en lui le chantre du progrès technologique, l'apologiste de la science et de ses bienfaits. Mais il est un aspect que l'on connaît moins, qui transparaît dans l'une de ses œuvres de jeunesse.

    Et pour cause ! Ce livre, refusé par son éditeur en 1863, ne fut publié finalement pour la première fois qu'en... 1994 !

    Loin de célébrer les milles vertus de la science et de la technique, Jules Verne s'y montre plus sombre qu'à l'accoutumée, plus méfiant, plus réservé sur les avantages que le progrès peut apporter au monde. Et il nous livre une vision d'anticipation assez prophétique.

    Quelle est donc cette œuvre méconnue, longtemps perdue ? Il s'agit de Paris au XXe siècle :

    Paris au XX° siècle

     ( Couverture de François Schuiten )

    D'un point de vue littéraire, ce n'est pas le meilleur roman de Verne. Mais son intérêt réside dans sa vision effroyablement juste du monde actuel.

    L'auteur nous y décrit un monde dominé par la science et le profit. Étroitement imbriquées, ces deux nouvelles idéologies imposent leurs vues et leurs modes de vie. On pourrait presque deviner dans ces multinationales financières et technologiques les ombres de Google, Microsoft, Monsanto, des laboratoires pharmaceutiques,...

    Avec clairvoyance, Verne anticipe l'augmentation du trafic motorisé, le développement des transports en commun, la surpopulation urbaine et ses conséquences: les problèmes de logement. Il décrit une société où la culture est méprisée, où les arts sont marginalisés à l'avantage exclusif de la technologie et des puissances de l'argent.  Il livre une vision de Paris étrangement familière:

    "Qu’eût dit un de nos ancêtres à voir ces boulevards illuminés avec un éclat comparable à celui du soleil, ces mille voitures circulant sans bruit sur le sourd bitume des rues, ces magasins riches comme des palais, d’où la lumière se répandait en blanches irradiations, ces voies de communication larges comme des places (...), et enfin ces trains éclatants qui semblaient sillonner les airs avec une fantastique rapidité."

    On y trouve tous les attributs de la modernité :

    • les voitures : "En effet, de ces innombrables voitures qui sillonnaient la chaussée des boulevards, le plus grand nombre marchait sans  chevaux; elles se mouvaient par une force invisible, au moyen d’un moteur à air dilaté par la combustion du gaz. (...) Celle-ci était donc facile, simple et maniable; le mécanicien,  assis  sur  son  siège, guidait  une  roue  directrice; une  pédale, placée  sous son pied, lui permettait de modifier instantanément la marche du véhicule."
    • le métro : "Quatre cercles concentriques de voies ferrées formaient donc le réseau métropolitain; (...) On pouvait circuler d’une  extrémité de Paris à l’autre avec la plus grande rapidité. Ces railways existaient depuis 1913;  ils avaient été construits aux frais de l’État, suivant un système présenté au siècle dernier par l’ingénieur Joanne."
    • l'ordinateur : "Michel se retourna et aperçut la machine n°4. C’était un appareil à calculer.(...)  ses instruments ressemblaient, en  effet, à de vastes pianos; en pressant les touches d’un clavier, on obtenait instantanément des totaux, des restes, des produits, des quotients, des règles de proportion, des calculs d’amortissement et d’intérêts composés pour des périodes infinies et à tous les taux  possibles."
    • Internet : "De plus,  la  télégraphie  photographique,  inventée  au  siècle  dernier par le professeur Giovanni Caselli de Florence, permettait d’envoyer au loin le fac-simile de toute écriture, autographe ou dessin, et de signer des lettres de change ou des contrats à cinq mille lieues de distance. Le réseau télégraphique couvrait alors la  surface  entière des continents et le fond des mers; l’Amérique ne se trouvait pas à une seconde de l’Europe, et dans l’expérience solennelle qui fut faite en 1903 à Londres, deux expérimentateurs correspondirent entre eux, après avoir fait parcourir à leur dépêche le tour de la terre.

     

    Mais on y trouve aussi une description tristement proche de notre réalité, où les hommes travaillent dans des bureaucraties kafkaïennes, où la surveillance de l'individu par des machines est totale, où la musique est plus hurlée que chantée, où l'anglais devient la langue prédominante, et où les jargons ont remplacé le vocabulaire usuel. Il nous prédit même l'abandon du grec et du latin, ce qui n'est pas sans nous rappeler une certaine réforme récente de l’Éducation Nationale...

    Si l'action se passe en 1960, on a souvent la furieuse impression de reconnaître notre propre présent dans ce court roman.

     

    *************************
     
    Pour aller plus loin :
     

    Paris au XX° siècle

    Éditions Le Livre de Poche (2002)

     

    Quatrième de couverture :

    "Mon cher Verne, fussiez-vous prophète, on ne croira pas aujourd'hui en votre prophétie" commentait l'éditeur P. J. Hetzel en marge du manuscrit que lui avait adressé Jules Verne.

    Et Jules Verne, en cette année 1863, rangea pour toujours Paris au XXème siècle, au moment même où la publication de "Cinq Semaines en ballon" inaugurait la suite ininterrompue de succès littéraires qui firent de lui, dit-on souvent, le créateur du roman d'anticipation et le propagateur optimiste des merveilles de la science moderne.

    La découverte fortuite de ce manuscrit longtemps considéré comme disparu révèle, cent trente ans après, une œuvre étrange et forte qui renouvelle entièrement notre compréhension de l'homme et de l'écrivain. Romancier d'anticipation, Jules Verne ne le fut précisément que dans ce roman, dont l'action se situe à Paris en 1960. Une éblouissante description de la capitale évoque la grâce et la force de la métropole du futur.

    Paris est un immense port relié à la mer par un canal que domine l'impressionnant phare de Grenelle. Tout concourt, du point de vue technologique, à rendre cette ville fascinante : métropolitains suspendus entièrement automatisés, automobiles Individuelles silencieuses, illuminations électriques comparables à l'éclat du soleil, ...

    Mais, dans cette métropole du futur, seuls l'argent et les sciences mécaniques ont droit de cité, sous le contrôle culturel de l'État, et quelques marginaux déclassés y perpétuent solitairement la mémoire de la culture classique, impitoyablement broyés, par le sarcasme ou l'indifférence, vaincus enfin par la misère et la faim.

    Cette vision contrastée d'une civilisation urbaine à la fois admirable dans sa technologie et totalement "déculturée" est la clé principale de Paris au XXème siècle.

    Jules Verne révèle pleinement sa dimension de romancier dans ce conte noir qui fourmille d'informations savoureuses sur la société et la culture de son temps, autant que de visions fulgurantes sur les sociétés urbaines de notre époque."

     

    Voici le texte intégral, accompagné de ses notes, illustrations et commentaires : 

     

     

     

    « L'insatiable pépieFaisez gaffe à l'ortografe quand même »
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  • Commentaires

    1
    Mercredi 10 Juin 2015 à 22:12

    Dans la Journée d’un journaliste américain en 2889 il fait aussi preuve de beaucoup d'intuition sur notre monde (même si la date est très lointaine)

    2
    Mercredi 12 Août 2015 à 09:03

    C'est troublant ces romans prémonitoires... 

    Dans un autre registre, le plus hallucinant que j'ai lu est "Le Naufrage du Titan" qui raconte en quasi tout points la catastrophe du Titanic mais publié une quinzaine d'année avant qu'elle survienne.

    Bonjour la paranoïa......

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