• ..., l'imbécile regarde le doigt" dit un célèbre proverbe chinois.

    "Quand le doigt montre la lune...

    Une fois n'est pas coutume, ce n'est pas le ministère, monstre sans visage, ou plutôt chimère à multiples têtes, qui sera la cible de ma vindicte aujourd'hui. Car ce 5 novembre est une journée spéciale. C'est la journée de lutte contre le harcèlement à l'école.

    Profitez-en bien car dès demain, ce sera fini. On retournera à nos petites affaires quotidiennes bien heureux d'avoir agi avec tant de conviction et du baume au cœur à l'idée qu'on n'a pas rien fait cette année.

    L’Éducation Nationale, via sa célèbre représentante provisoire Madame Vallaud-Belkacem, a décidé de s'attaquer à bras-le-corps aux problèmes de harcèlement à l'école. Sortons l'artillerie, les gros calibres... Pour agir, on agit !

    Pour l'occasion, on a concocté un épais dossier avec plein de couleurs et de schémas (sans les couleurs et les schémas, sans doute que les professeurs ne comprendraient pas de quoi il s'agit... ?).

    Je vous laisse en prendre connaissance si vous le souhaitez :

    Présentation de la première journée nationale "Non au harcèlement"

    Comme nous sommes curieux, nous ne pouvons nous empêcher de jeter un œil gourmand sur les conseils avisés du ministère à l'intention de ses personnels.

    Admirons la belle définition du harcèlement dans le préambule du dossier (dans le cadre bleu après l'éloquent édito de la Ministre):

    "Lorsqu’un enfant est insulté, mis à l’écart, menacé, battu, bousculé à répétition, on parle de harcèlement."

    Vous l'aurez noté, les mots importants sont "à répétition" ! D'où nous pouvons en conclure que si un enfant est insulté, mis à l'écart, battu, bousculé sans répétition, ce n'est pas du harcèlement. Cela n'a donc aucune importance et pas besoin d'intervenir ou de s'y intéresser. A l’Éducation Nationale, c'est ce qu'on appelle de la socialisation. Cette merveilleuse interaction avec les autres dont nous, odieux parents instructeurs, osons priver nos enfants en les gardant sous notre coupe égoïste.

    Pleine de foi, la Ministre n'hésite pas à conclure son édito en brossant les enseignants dans le bon sens:

    "Je sais que je peux compter sur l'engagement de chacun d'entre vous pour que le harcèlement ne soit plus tabou."

    Nous allons voir qu'en terme d'engagement de chacun d'entre eux, elle ne va pas être déçue. Selon les premiers communiqués des syndicats, c'est drôlement bien parti !

    Sans lésiner sur les moyens à sa disposition, outre les réunions dont l'efficacité n'est plus à prouver (si ce n'était pas efficace, on en ferait moins, voyons ! CQFD !), outre les nécessaires formations (oui, oui, nécessaires ! Si vous n'êtes pas formé, comment voulez-vous reconnaître un coup de poing d'un bisou au premier coup d’œil ? Sans formation, comment un instituteur pourrait-il à coup sûr distinguer une insulte d'un aimable jeu d'enfant, des ricanements méchants autour d'une victime prostrée d'un jeu de chandelle ?), sans lésiner sur les moyens, donc, le ministère agit en faisant diffuser un clip de...

    Un clip destiné à...

    Un clip pour...

    Bref, un clip !


    On ne sait pas très bien à quoi il servira: est-ce dans le but d'alerter les victimes ? Il semble qu'elles sont les premières au courant. Est-ce pour effrayer les harceleurs ? Pas de quoi les terroriser si d'aventure leurs yeux tombaient par inadvertance sur cette pastille vidéo. Est-ce pour avertir les parents ? Les professeurs ? Le ministère ? Mais tout le monde est au courant depuis bien longtemps, non ?

    Alors à quoi servira cette dépense inutile ? Et bien, à la même chose que d'habitude: à faire croire qu'on agit !

    Effectivement, plus moyen de contester que le ministère a pris les choses en main: on a une vidéo qui le prouve. Les gens l'ont vu, donc les gens savent que le ministère fait quelque chose. Pas ce qu'il faut, ça, nous le savons. Mais quelque chose !

    Et il faut bien reconnaître que de la part du ministère de l’Éducation Nationale, quelque chose, ce n'est déjà pas rien !

    Avant d'aller plus loin, je me permets d'ouvrir une parenthèse légèrement hors-sujet, encore que... (D'ailleurs, je ne vois pas pourquoi je ne me permettrais pas, après tout, je suis chez moi.)

    Ouverture de parenthèse

    (

    Vous l'aurez noté, cette journée d'action est sponsorisée par Disney. C'est dire le sérieux de l'affaire ! Quand un gouvernement est obligé de faire appel à une multinationale privée étrangère pour régler les problèmes régaliens qui lui incombent, on peut être sûr que c'est un signe qu'il prend l'affaire au sérieux.

    Et puis, soyons optimistes: cette bonne cause sera sans doute une excellente occasion d'écouler quelques figurines pas chères ou de plaider pour que les enfants harcelés courent se régaler devant la prochaine production de la firme, histoire de trouver quelques instants de bonheur en tube, un peu d'émerveillement standardisé dans leur triste existence de victimes. Quoi de mieux pour oublier son malheur ?

    En-dehors de Disney, point de salut pour les enfants. Voilà assez longtemps que les agents de Mickey nous le répètent et on est bien heureux que notre gouvernement en ait enfin pris la mesure. Le formatage universel a encore de beaux jours devant lui, il faut croire.

    C'est un grand classique du capitalisme: associer son nom à une bonne cause permet toujours d'augmenter ses parts de marché et partant, de faire augmenter un peu le cours de ses actions. Merci donc madame Vallaud-Belkacem, pour cette belle publicité gratuite, offerte par vos services à cette petite entreprise en péril. Ça ne fera peut-être pas avancer la lutte contre le harcèlement mais au moins, c'est bon pour les investisseurs américains.

    )

    Fermeture de parenthèse 

    Revenons donc à nos moutons, comme disait Panurge.

    Vous le constatez, mon propos liminaire m'aura permis une époustouflante plaidoirie en faveur de l’Éducation Nationale, un réquisitoire bienveillant qui aura totalement dédouané le ministère de ses (ir)responsabilités. Il ne s'agit pas de ma cible aujourd'hui, d'où mon exceptionnelle indulgence à son égard. (Non ? Ah ? Il me semblait pourtant avoir essayé...)

    Venons-en alors au véritable objet de cet article.

    Maintenant que vous avez visionné le petit film, vous voilà averti. A présent, vous en valez deux ! Admettons que jusqu'ici, vous n'aviez jamais entendu parler de quoi que ce soit, vous n'étiez absolument pas au courant que des actes sauvages et primitifs avaient lieu dans le sein douillet et moelleux de nos établissements scolaires. Jamais au grand jamais vous n'auriez pu vous douter. (Un trrrrrrrès long séjour à l'étranger peut-être ?).

    Donc voilà, vous êtes désormais dans la confidence. En assistant à cette petite séquence, nul doute que vous entrez en empathie avec ce malheureux petit garçon, cible de toute sa classe et dont les journées sont pour lui un enfer.

    Faux ! Vous êtes à côté de la plaque ! Vous n'avez rien compris au film ! Revisionnez ! Regardez mieux ! Alors, vous le voyez cette fois le véritable scandale ?

    N'est-ce pas proprement inouï de représenter ainsi une professeure des écoles ? (Vous noterez dans cette dernière phrase l'application de deux des plus importantes réformes de ces trente dernières années: le nouveau nom des instituteurs – parce que le mot était il faut croire incompréhensible et qu'il était donc urgent de clarifier la situation en adoptant comme à l'accoutumée un terme pompeux et abscons pour le remplacer – , et la féminisation des noms en -eur auxquels nous sommes autorisés désormais à ajouter un -e. Vous ne pourrez pas dire que je ne fais pas d'efforts !)

    Sans cœur que vous êtes à oser plaindre ce pauvre enfant qui découvre les joies de la collectivité bienveillante, qui se confronte aux valeurs de la république, qui reçoit une leçon quotidienne sur l’altérité et le respect de la différence ! Monstre dépourvu de sentiments qui avez le toupet de vous ranger du côté de cette fausse victime, dont le seul but est de déstabiliser par ses jérémiades incessantes cette brave enseignante, de lui coûter peut-être (horreur!) quelques points sur son évaluation...

    Alors que n'importe quel humain doué de raison (comme par exemple un syndicaliste enseignant) ne retiendra dans ces images que la caricature honteuse, la représentation injurieuse qui est faite d'une profession pourtant sans faille.

    Hélas non, ce n'est pas de la médisance, c'est de l'actualité. La triste et sombre réalité :

    Le Monde

    Le Point

    Vous qui êtes allés à l'école, vous vous souvenez peut-être d'un ou d'une prof qui aura marqué votre esprit et vous aura apporté énormément. Car oui, ils existent ! La plupart d'entre nous aura eu l'heur de rencontrer un de ses (rares!) spécimens. Mais comme disait Audiard, que j'aime bien citer, sur un autre sujet : "Il y a aussi des poissons-volants mais ils ne constituent pas la majorité du genre !".

    Car vous qui êtes allés à l'école, vous vous souvenez à n'en pas douter de Monsieur Bidule ou de Madame Machin qui ressemblaient à s'y méprendre au portrait présenté ici ! Et je suis même prêt à parier que dans votre carrière d'écolier, vous avez croisé beaucoup plus de Monsieur Bidule ou de Madame Machin que de poissons-volants !

    Comment ne pas s'émouvoir de la haute conscience qu'a le corps professoral de son beau métier ? Au lieu de se scandaliser que des actes de harcèlement aient lieu au sein de leurs établissements, sous leurs propres yeux recouverts, il faut le croire, d'une épaisse couche de... quelque chose qui leur bouche la vue, les syndicats d'enseignants s'élèvent comme un seul homme contre ce clip qui porte atteinte à leur honneur.

    Pour une fois qu'une ministre fait quelque chose...

    En dépit du bon sens, nous en sommes d'accord ! Mais comme nous penchons vers une éducation positive, nous préférons encourager les initiatives, même ridiculement et ostensiblement inutiles, plutôt que de griffonner en rouge des commentaires rageurs et humiliants sur la copie de l'élève Vallaud-Belkacem (qui mériterait pourtant amplement les fameux "médiocre" ou "peut mieux faire" dont son armée de chiourmes tartinent allégrement les devoirs de nos rejetons).

    Ce qui choque les syndicats, ce ne sont pas les actes de harcèlement. Avez-vous le souvenir d'avoir entendu les syndicats d'enseignants sur ce sujet ? Avez-vous en mémoire la dernière grève des personnels enseignants pour réclamer qu'enfin, on agisse contre le harcèlement ? Pour ma part, non !

    Ce qui choque les syndicats, c'est qu'on montre devant toute la France la réalité d'une salle de classe. Évidemment, nous savons que tous les professeurs ne sont pas comme celle présentée dans cette vidéo. Fort heureusement ! Et pourtant, ce type de "professionnel" existe. Nous en avons tous fait l'expérience en tant qu'élève, parents d'élèves ou membre de la famille d'un élève. Tous !

    Du reste, si ce type de "professionnel" n'existait pas, le sujet n'aurait pas lieu d'être puisque ce genre d'actes de harcèlement ne pourrait pas avoir lieu.

    Et au lieu de chasser les brebis galeuses, d'agir pour que plus un seul "professionnel" ne manque à ses devoirs, les syndicats préfèrent se scandaliser de la caricature qui est faite de leur noble profession.

    Quand un sujet de cette importance, qui mérite un large consensus, qui devrait toucher chacun d'entre nous même quand il n'est pas parent, puisqu'il s'agit tout de même de drames parfois mortels concernant des enfants, quand un sujet comme celui-ci , qui ne devrait souffrir aucune polémique, débarque sur la table, les syndicats d'enseignants n'ont rien de mieux à faire que de pleurnicher sur leur image médiatique.

    Comme si les angoisses, les dépressions, les souffrances, les suicides parfois, d'enfants et d'adolescents ne pesaient rien face au confort moral d'une poignée d'adultes. Pauvres petits choupinous qu'il faudrait plaindre tant ce qu'ils vivent quand on leur jette ces images à la face (il parait qu'un instituteur de la Creuse en a fait tomber son café à la récréation, c'est dire !) n'est en rien comparable aux lamentations injustifiées de ces sales mioches, dont ils savent bien eux, professionnels de la profession, que la plupart du temps, c'est quand même un peu exagéré.

    Chacun est libre de mener les combats qu'il veut mais on peut quand même s'attrister du sens des priorités des syndicats. On peut pour le moins trouver leur indignation curieusement sélective. Et le pire, c'est qu'ils sont pour une fois unanimes ! Aveuglement, outrecuidance, mépris ! Voilà tout ce que révèle leurs réactions officielles ! On ne m'ôtera pas de l'idée qu'il y a quand même parfois des circonstances où il faut savoir fermer sa gueule !

    Vous faites ce que vous voulez mais pour ma part, il est hors de question que je confie mon enfant à ces gens-là.

     

     


     

     

    Pin It

    6 commentaires



    Suivre le flux RSS des articles
    Suivre le flux RSS des commentaires